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Man Ray (1890-1976) : nus stylisés et portraits

Qui est cet étrange Man Ray dont les photographies ont fait tant de bruit des deux côtés de l’Atlantique ?

Honni par les uns, admiré par les autres

Man Ray est sans conteste une des personnalités les plus marquantes de la photographie.

Pour comprendre son oeuvre, il faut connaître ce milieu de Montparnasse (après 1920) où à la suite de Picasso et de Braque, la peinture s’engageait dans des voies nouvelles, bannissant toute tradition, et où un groupe de peintres recherchait dans le cubisme ou le surréalisme une expression inédite pour des temps nouveaux.
Epris de machinisme et de cérébralité pure, ils s’essayaient à les exprimer plastiquement par la géométrie des taches, le concept de beauté était en pleine évolution.

« L’on confond l’idée de beau avec celle de plaisir. Le beau n’est pas le plaisir; l’œuvre d’art a pour seul but de créer chez le spectateur des émotions voulues. S’il existe des constantes de la sensibilité, il n’en est guère pour nos jugements de valeurs. Le jugement de plaisir ou déplaisir est parfaitement individuel. L’art n’a pas à se soucier de ce jugement-là, mais seulement de nous émouvoir ». Amédée Ozenfant.

Il est d’autant plus curieux de voir cette tendance du surréalisme trouver une de ses expressions dans la photographie, que s’en éloigner fut précisément un des buts principaux des surréalistes.
« L’art d’imitation est distancé par la photographie et le cinéma », disaient-ils, il faut donc chercher autre chose en peinture.

L’art photographique de Man Ray procède exactement de l’esthétique surréaliste

Nous ne comprendrons son œuvre qu’en la rapprochant de cette école.

Il cherchait dans la photographie ce que ses camarades cherchaient dans la peinture et cela explique le côté « irréel » de ses études.

Pour lui, la photographie n’avait rien de mécanique, on la compare volontiers aux caractères d’une machine à écrire tout aussi aptes que la plume à reproduire la pensée. Il exigeait qu’on juge son œuvre non pas selon la méthode employée, mais selon les idées qui l’inspiraient.

Peu importe qu’on reproche à ses études d’être loin de la nature, d’être stylisées, de n’être plus de la photographie mais de la peinture. La seule chose qui comptait pour lui, c’est de savoir si elles avaient, oui ou non, de la valeur.

Le peintre surréaliste, Man Ray, devenu photographe s’est fait l’alchimiste de la photographie

Tous les stades du processus photographique lui suggéraient des formules nouvelles, l’attiraient dans les combinaisons les plus diverses du hasard; il choisissait attentivement les éléments d’une œuvre neuve.

Expérimenter et sélectionner les effets du hasard jusqu’à ce qu’ils deviennent une œuvre consciente, voilà quel était le but de Man Ray. En mettant au point et en utilisant le procédé de solarisation, il n’a pas hésité à nous donner une image négative si celle-ci formait une tache qui l’amuse.

Il supprimait volontairement les demi-teintes et aimait souligner le galbe sans se soucier des détails.

Ainsi, il a crée des photographies surprenantes qui ne manquaient jamais de soulever des polémiques, rappelant les discussions passionnées qui éclatèrent autour de l’Olympia de Manet au corps blanc et plat.

Il suffit cependant de regarder une de ses photographies pour se rendre compte que Man Ray, lorsqu’il le désirait, savait reproduire en maître le relief et le velouté du corps. Et nous ne pouvons que suivre la voie tracée par Man Ray lorsqu’il affirmait que les moyens importent peu, mais que l’œuvre seule compte.

Dès qu’on entrait dans son studio de Montmartre, on était baigné d’une atmosphère d’objectivité : murs clairs, paravents unis, luxe technique qui permet les éclairages les plus divers. Aux murs, quelques photographies où des reproductions de nus, de machines, de porcelaines voisinent avec des paysages, confirmaient que leur auteur est un photographe direct, soucieux de découvrir l’objet photogénique et non d’exprimer sa personnalité.

Devant son appareil, il n’avait qu’un désir : photographier vrai, aussi vrai que possible

De préférence, il utilisait le papier glacé qui rend tous les détails et toute la finesse des prises de vue. Ce que l’objectif ne peut saisir complètement, ce qui demande des retouches ne l’intéressait pas.

Son œil se transformait lui-même en objectif photographique, découpe les sujets dans l’espace et les fixe dans le temps. Le corps d’une femme n’était pour lui qu’un objet et il le traitait avec la même curiosité, avec la même froideur qu’un cristal ou une porcelaine. Le relief, le galbe, les jeux d’ombres et de lumières l’amusaient.

Ses nus étaient souvent plus mutilés que des statuts antiques ; un bras, un sein sont beaux ?

Alors, il fallait les saisir, les inscrire sur la pellicule.
Pas d’étude, pas de pause, il se contentait de surprendre le moment fugitif. Dans cette recherche photographique du pittoresque, de l’amusant, de la beauté en elle-même, il oubliait sa personnalité, il sacrifiait volontiers un ensemble au seul détail qui le séduisait.
Il aimait les éclairages vigoureux qui découpent les formes avec une netteté brutale, massent les volumes et permettent des oppositions heurtées, comme dans les études.

Il évitait tout style pictural et l’on peut dire, sans porter aucun jugement sur les valeurs, que parmi les photographes que nous avons étudiés, il est resté le plus proche de la photographie, au sens essentiel, authentique du mot.

Qu’on l’admire ou qu’on le repousse, aucun doute n’est possible, Man Ray était un artiste et avant tout un créateur !

Source : Man Ray éditeur Manfred Heiti

Le portrait d’après Man Ray

Le « sourire commercial »

Comment travaillez-vous?
Méfiez-vous, Masclet  ! J’ai toujours eu l’habitude, quand on me demandait comment j’avais fait tel portrait (exécuté bien à l’ombre, sans un arbre…), de répondre négligemment : j’ai employé deux spots, et trois photo floods…

Oui… oui… mais je sais que pour moi, vous allez dire la vérité…
Tiens, tiens, vous me connaissez mieux que je ne pensais !  Eh bien voilà : d’abord, très peu de sourire commercial !  Si vous regardez longtemps un portrait (vous savez, du genre: « ET MAINTENANT, SOURIEZ ! »), ce sourire va bientôt se transformer en une grimace de cauchemar…

Le naturel ? Mais c’est le comble de l’artifice ! Je commande tout, je dirige tout, au studio, je ne laisse rien faire au gré du client.

Pourquoi ? mais c’est très simple. Parce qu’il n’y connaît absolument rien, puisqu’il se fait photographier deux fois dans sa vie, tandis que moi, j’étudie la photo tous les jours. Alors il est clair que c’est mon avis qui doit prévaloir.
Cette méthode est la seule qui m’ait donné de bons résultats, seulement… il faut parfois des années d’études pour savoir recréer le naturel !

Et la retouche ?

Oh ! la retouche ! je m’en sers le moins possible, c’est-à-dire presque jamais ! Le retoucheur, neuf fois sur dix, détruirait en cinq minutes ce que j’ai mis une heure à obtenir. Laissons ça aux… photographes qui ne sont pas capables de vendre un portrait sans retouche.

La direction des modèles

Qui considérez-vous comme les meilleurs modèles ? Les plus « faciles  » pour le photographe et les plus « intéressants »  pour l’artiste ? Les stars ?
Non ! Certes, les stars savent comment elles doivent être…Sûr, elles connaissent leur meilleur profil ! Bien entendu, elles sont merveilleuses… pour le cinéma !Mais devant l’appareil de photo, elles sont perdues ! C’est moi qui doit tout faire, c’est moi qui dois inventer l’éclairage, trouver la pose, suggérer l’expression ! Suggérer; jamais commander !

Jamais, jamais ?
Si. On peut quelquefois commander une expression, mais… à une condition : c’est que le modèle ait du génie. Mais ne comptez jamais sur le modèle.

Comptez plutôt sur vous, c’est du sport, vous savez, une sorte de chasse. Ne fatiguez pas votre sujet, faites tout rapidement en dix minutes, n’ayez pas l’air de travailler (et que cela ne vous empêche pas d’avoir impressionné vos douze films).
Quand mes clients sortent de l’atelier, ils me disent souvent:  « Je n’ai jamais eu une séance si facile !  » Bien souvent, mes plus beaux portraits ont été faits avec des gens ordinaires: après tout, Renoir et Rembrandt lui-même ont fait poser leurs bonnes !

La photogénie

Une photo reflète autant l’artiste que le sujet. Mais la fidélité peut m’intéresser qu’on puisse reconnaître la personne.

Il m’est arrivé de déformer le sujet. Mais ces déformations se passent en laboratoire et non en studio, devant la personne qui pose. En studio, je travaille comme le photographe le plus traditionnel. Seulement, il est rare que quelqu’un puisse poser d’emblée pour une photo. Les gens qui viennent dans mon studio me disent: «]e ne suis pas photogénique… je ne vais jamais chez le photographe ».

Je leur réponds: « Cela dépend de moi. » Même les grandes vedettes, les stars hollywoodiennes, merveilleuses quand elles jouaient devant les caméras, ne savaient pas poser pour des photos fixes. ]’étais alors obligé de provoquer une expression chez elles, de les inciter à prendre une certaine pose, à avoir tel regard.
Mais cela n’a plus rien à voir avec la photographie elle-même. Plus une personne est intéressante ou belle, plus elle est difficile.

Il s’installe alors une sorte de compétition. Et j’ai horreur de ça. Rembrandt a peint une servante comme si c’était une reine. Et une reine comme si elle était une servante. Les anciens ont pris toutes les libertés, je les prends, moi aussi.

Les maîtres anciens

Quand je me sers photographiquement d’un visage, je travaille comme les anciens maîtres. ]’ai beaucoup étudié les toiles des anciens.
Quand je regardais au musée un Véronèse représentant un banquet de quarante personnes, je me disais que cet artiste était un grand photographe. Tous les anciens l’étaient. Ils connaissaient la couleur, le dessin, la perspective, la mise en scène: tous les moyens techniques dont ils avaient besoin pour exécuter leurs portraits.
Je me suis formé à leur contact beaucoup plus qu’en fréquentant des écoles de photographie.

Qu’avez-vous appris chez eux ?
Dans le tableau de Véronèse, par exemple, le visage de la personne la plus éloignée est presque aussi grand que celui de la personne la plus rapprochée. Dans une photo ordinaire, le visage de cette personne-là serait huit fois plus petit que celui du sujet assis au premier rang.

Comment obtenir le même résultat en photo ?
En observant les distances ! Et le portrait ne sera pas déformé ! Sur la plupart des photos prises par les photographes traditionnels, le nez est presque deux fois plus grand que l’oreille. Parce qu’il est plus près de l’appareil. Cette anomalie se produit lorsque la photo est prise à un mètre de distance.
On voit tous les détails du visage. La photo est très nette, mais pas du tout ressemblante. Les gens qui viennent me voir me disent: les portraits qu’on a fait de nous sont horribles. Je vois tout de suite qu’ils ont été pris à 50 cm.
Il ne faut jamais photographier un sujet à moins de 4 mètres de distance. J’ai fait construire des téléobjectifs pour pouvoir prendre des photos à 10 mètres, faire un portrait tel que je l’entends.
Mais les photographes ne comprennent pas. Ils aiment le détail, la netteté. Quand mes élèves me montrent des tirages merveilleux, plus grands que je n’en ai jamais faits, 40 à 50 cm où chaque poil, chaque grain de peau sont visibles, Je leur dis: « C’est très joli, mais cette photo n’est pas de vous. Elle est du professeur Karl Zeiss. Il a mis neuf ans pour calculer la courbure de l’objectif grâce auquel vous obtenez une photo aussi nette. Vous n’êtes que des artisans ».

L’agrandissement

J’ai étudié la peinture des maîtres anciens, admiré le respect avec lequel ils restituaient les proportions des traits humains. J’ai appris dans les écoles d’art et pendant mes cours de dessin d’après modèle qu’un nez n’est normalement pas aussi grand qu’une oreille. Dans mes premières photographies, tous les traits ne respectaient pas les proportions; les nez étaient généralement deux fois plus grands que les oreilles, quand celles-ci ne disparaissaient pas entièrement.
J’ai observé des photographes professionnels qui essayaient d’avoir une tête sur une plaque 8 x I0, jonglant avec les angles et les bascules de leur appareil pour avoir dans l’objectif à la fois les oreilles et les nez.

Mais les joues ou les mentons devenaient alors énormes.En réfiéchissant, j’ai découvert que le secret pour conserver les proportions consistait à se tenir à distance du modèle. Avec une vieille lentille de 12 pouces placée sur mon 8 x 10, je me mettais à 2 mètres de mon modèle, et j’obtenais un visage de la taille d’un pouce à peine. Mais le résultat me satisfaisait davantage, les proportions étaient plus fidèles à la réalité.

Pourquoi ne pas agrandir ?, me suis-je demandé. ]’ai alors fait l’acquisition d’un énorme agrandisseur équipé d’une lampe à filament, qui devait être mis au point avant chaque utilisation. Et j’ai ainsi obtenu un visage à la bonne taille, très ressemblant, mais les pores et les taches de rousseur y étaient aussi magnifiquement agrandis. Il était hors de question d’opérer des retouches.
]’avais déjà pris cette décision pour des raisons à la fois esthétiques et pratiques, ayant reçu à ce sujet les mises en garde des meilleurs photographes, qui m’avertirent également avec condescendance qu’un agrandissement ne pourrait jamais avoir la qualité d’un tirage par contact. ]e leur donnai raison, mais j’insistai aussi sur le fait que des proportions exactes étaient plus importantes que la qualité de l’impression du tirage. Je poursuivis mes agrandissements en rendant légèrement floue l’image au moment de la mise au point. Il m’arrivait aussi d’utiliser un diffuseur sur la lentille ou de réaliser mes tirages à travers du papier de soie.

Plus tard, je travaillai délibérément le grain, tout particulièrement dans les portraits. Un révélateur d’hydroquinone froid sur des films rapides me fit obtenir un grain magnifique. ]e pouvais aussi avoir recours à un procédé plus sophistiqué en fabriquant un écran à partir d’anciennes autochromes couleur, qui avaient un grain absolument superbe (c’étaient des sortes de particules d’amidon, je crois), et j’imprimais mon négatifà travers ce dispositif.

Le grain n’a jamais détruit les bases de mon travail. Tout moyen me semblait justifié à partir du moment où j’obtenais l’effet d’une vision par l’œil, qui, dans sa fonction naturelle, n‘est pas exigeant en matière de netteté, de définition ou de valeurs. Ce n’est que lorsque nous sommes confrontés à ces qualités dans une photographie conçue avec méticulosité que nous sommes stupéfaits et impressionnés. Les progrès réalisés dans les domaines de l’optique et des appareils photographiques sont là pour nous faciliter la tâche, il n’y a pas matière à en vanter les exploits.

Pourquoi l’artiste devrait-il s’attribuer le mérite des calculs qu’un mathématicien a effectués pour définir les courbes des éléments composant une lentille ? À un élève qui me montrait sa récente acquisition d’un appareil photo extraordinaire, et qui pensait qu’il pouvait faire un meilleur travail grâce à celui-ci, j’ai répliqué:  » Vous ne pourrez peut-être jamais réaliser une photographie aussi belle que votre appareil.  » .

Le tirage

J’ai remarqué, notamment à votre exposition de rentrée à Paris, il y a trois mois, que nombre de vos images grises, harmonieuses, riches, presque entièrement dans les tons moyens… et que vos papiers, très beaux, ne sont généralement pas glacés ?
De même que je pose habituellement plus que les autres photographes, de même j’emploie beaucoup moins les noirs, ceci étant souvent la conséquence de cela.
C’est que, voyez-vous, trop de photographes s’imaginent naïvement que ce sont les noirs , les beaux noirs, comme ils disent qui donnent de la force. En réalité,les noirs ne donnent pas plus de vigueur à une photo que les boissons « fortes » ne donnent de la force à un homme ! Moi, je n’ai jamais mis d’alcool dans mes images. Une image ça n’est pas un cocktail.
Quant aux papiers, je n’ai pas de préférences marquées, je choisis à mon gré, et même, bien souvent, je donne pour reproduction une image tirée grise, sur papier mat, et à grain !

Pourquoi ? Mais parce qu’elle est créée comme ça, et que si je la tirais de nouveau, cette fois-ci vigoureuse, et brillant glacé, pour le photograveur, ce serait une autre œuvre. C’est au photograveur à reproduire mon œuvre « telle ». Naturellement, les techniciens ont aussi leurs petites idées là-dessus, mais il ne faut pas les écouter : quand ils disent « c’est impossible », cela veut dire tout simplement que ce n’est pas à leur goût.

Extraits du livre Man Ray Portraits  –  Centre G.Pompidou , 2010

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