
Henri Cartier-Bresson sa vie (1908 – 2004)
Henri Cartier-Bresson est reconnu comme étant le père de la photographie de rue sur le vif. Années après années il s’est investi dans la photo de rue en utilisant le concept de « moment décisif » ; ce 1/125 ème de seconde quand tous les éléments chaotiques et incontrôlés de notre monde s’alignent, comme par magie, en un beau et décisif moment pour produire un unique et éternel instantané.
Prochainement a lieu à Paris une exposition de photos de Henri Cartier-Bresson, j’ai eu envie de vous parler de cet extraordinaire photographe.
Henri Cartier Bresson : enfance et adolescence
Il est né en 1908 et s’est éteint en 2004, il a vécu près de cent ans. Nommé « l’œil du siècle » à juste titre car il a parcouru le vingtième siècle qui a été le témoin de tant d’évènements et de transformations…
Ne pas oublier aussi que le vingtième siècle a été celui de l’image !
Je vous invite à lire le livre de Pierre Assouline, Cartier-Bresson l’œil du siècle, où l’auteur raconte sa vie et décrypte son œuvre, tout comme il le dit lui-même, tout en écrivant « l’histoire d’un regard ».
Henri Cartier-Bresson a été conçu à Palerme en Italie où ses parents ont passé leur voyage de noces mais il est né à Chanteloup près de Paris dans le château familial.
En réalité il n’y vit pas, il ne s’y rend que pour les vacances, son chez lui c’est Paris où ses parents louent un vaste appartement à proximité du parc monceau.
Il est l’ainé de cinq enfants et est très proche de sa mère.
Il est issu d’un milieu bourgeois fortuné où il est servi et élevé par des nounous étrangères.
Il joue de la flûte accompagnant sa mère au piano mais son penchant va vers la peinture qu’il considère comme son véritable héritage car nombreux sont les membres de sa famille qui aimait dessiner et c’est dans l’atelier de son oncle, le peintre Louis Cartier-Bresson (Prix de Rome en 1910, mort à la guerre en 1915) qu’il prend goût à la peinture.
« L’art sous toutes ses formes est la seule activité à laquelle l’adolescent s’adonne avec rigueur et régularité » écrit Pierre Assouline. Quand il ne peint pas, il dessine.
Il étudie au lycée Fénelon à Paris où il consacre son temps à dévorer des livres dits « interdits » avec la complicité du surveillant général.
Il se réfugie dans son bureau pour dévorer les livres de Rimbaud, Dostoïevski, Proust, Mallarmé et Romain Rolland.
Outre la lecture, le cinéma, où il s’enthousiasme pour les films de Keaton, Griffith et Eisenstein, mobilise également son attention.
Il aime à fréquenter le Louvre et les expositions.
HCB : jeune adulte
A 19 ans, il abandonne ses études, ne désirant pas prendre la suite familiale et décide de se consacrer à la peinture, pour cela il choisit l’académie Lhote où André Lhote, théoricien du cubisme est le maître des lieux. Il y passera deux années de sa vie.
Avec son cousin, il part pour la Grande-Bretagne où il séjournera 8 mois et assistera dans un des collèges de Cambridge à des cours de littérature anglaise et où il rencontrera le grand philosophe et éthnologue Sir John Frazer.
Ce fut pour lui l’occasion de prolonger de manière agréable son adolescence avant de rentrer dans sa vie active.
De retour à Paris, il rencontre le peintre Jacques Emile Blanche qui lui présente René Crevel qui est au nombre de ceux qui ont fait « acte de surréalisme absolu ».
Il fréquente les surréalistes, André Breton, Louis Aragon, il assiste aux débats dans le café de la place blanche et il les observe, il n’accepte pas le surréalisme en bloc mais il en tirera le meilleur car c’est un rêveur qui jamais ne se laissera enfermer …
Nous sommes en 1931, Henri Cartier-Bresson a une âme d’aventurier et à 22 ans il part pour l’Afrique.
En Côte d’Ivoire, il exercera des petits boulots comme la chasse.
Quand il ne chasse pas, il prend ses premières photos, des hommes en action…mais un jour il est atteint de la bilharziose, il a passé un an en Afrique et il se voit contraint de rentrer.
A 23 ans, il s’est construit pour la vie, il a vécu des instants décisifs et il ne lui reste plus qu’à traverser le siècle jusqu’au suivant…
De retour à Paris, il découvre sa véritable passion : la photographie.
Il s’achète un Leica, il opte pour le format 24X36, petit et maniable et il part voyager en Europe avec André Pieyre de Mandiargues et Leonor Fini.
Il parcourt la Pologne, la Belgique, la Hongrie, la France, l’Italie et l’Espagne. Ce sont ses premières photographies.
Son regard, entrainé par l’exercice de la peinture et sollicité par la réalité qui s’offre à lui, parvient à capter et à fixer des moments d’un équilibre rare et d’une composition formelle et parfaite, toujours d’une grâce extrême.
Ce sont ses premières photos où se concentrent l’esthétique de la surprise avec un sens de la géométrie qui fait immédiatement sa réputation.
En 1933, il expose à la galerie Julien Lévy à New York.
Ses photographies sont présentées à Madrid au club Ateneo.
Charles Peignot le publie également dans Arts et Métiers graphiques.
En 1934, il part un an au Mexique avec une expédition éthnographique.
Il y rencontrera Manuel Alvarez Bravo. Il y photographiera deux lesbiennes en train de faire l’amour, la photo sera intitulée l’araignée d’amour.
Son ami André Pieyre de Mandiargues écrira : « L’araignée d’amour, comme je me suis amusé à intituler cette charmante image, nous offre deux jolies lesbiennes mexicaines prises sur le fait, à leur insu, je pense, selon la méthode d’HCB, qui n’use que de l’instantané.
Ici, tout est voilé sauf l’essentiel, et les bonnes mœurs sont respectées dans l’érotisme le plus outré.
L’œil du voyeur se régale en toute innocence. Que de suavité. »
En 1935, Il part aux Etats-Unis où il y apprend le cinéma auprès de Paul Strand.
De retour en France, il devient l’assistant de Jean Renoir après lui avoir présenté ses photographies et il est engagé sur les tournages de la « la vie est à nous », « Une partie de campagne » et « La règle du jeu ».
La guerre d’Espagne éclate et il tourne un documentaire « Victoire de la vie » en 1937 sur le front républicain espagnol et réalise plus tard « l’Espagne vivra »(1938).
En 1937, il épouse une javanaise, danseuse, Ratna Mohini.
La guerre en France éclate et il est mobilisé.
Au cours des premiers mois de la guerre il est fait prisonnier et restera 3 ans en Allemagne où il travaillera dans plusieurs commandos.
Après 2 tentatives d’évasion il arrive à s’évader et se réfugie dans une ferme à Loches.
Parvenu à rejoindre Paris, il ralliera la résistance en 1943.
En 1944, il tourne un documentaire sur la libération des camps des nazis « Le retour ».
Il n’abandonne pas pour autant la photographie, et réalise une série de portraits, qui complètera en 1946 à New York l’exposition que le Moma lui avait consacré précédemment, le croyant disparu pendant la guerre.
HCB : après 1945
En 1947, Henri Cartier-Bresson fonde l’agence Magnum Photos avec Robert Capa, David Seymour, George Rodger et William Vandivert.
Robert Capa convainquit Henri Cartier-Bresson de ne pas se laisser étiqueter comme photographe surréaliste mais comme journaliste qui seul ouvre le regard à la réalité et rend compte du monde et de ses transformations.
Les photographes de Magnum inaugurent une nouvelle manière de penser photographie. Ils resteront propriétaires de leurs images et de leurs négatifs et ils décideront seuls des reportages qu’ils ont envie de faire.
Parallèllement au travail de reportage, il constituera une œuvre de portraitiste.
Henri Cartier-Bresson choisit l’extrême Orient où il séjournera 3 ans.
Ses pays de prédilection sont l’Inde, le Pakistan, la Chine, l’Indonésie. Il est présent peu de temps avant la mort de Gandhi qu’il photographiera et assistera aux dernières heures du Kouo-Min-Tang et au triomphe de Mao.
L’Indonésie le tiendra particulièrement à cœur car sa première femme est originaire de Java et là il sera aussi présent quand le pays deviendra indépendant.
En 1952, il retourne en Europe et avec son ami l’éditeur Tériade, il publie son premier livre, « images à la sauvette » dont la couverture est réalisée par Henri Matisse.
La préface est un texte où Henri Cartier-Bresson expose sa conception de la photographie « l’instant décisif ».
En 1954, il entame une collaboration avec un jeune éditeur Robert Delpire et publie « Les danses à Bali ».
En 1955, Tériade publiera « Des Européens » avec une couverture de Juan Miro. Il inaugure sa première exposition en France au Louvre.
Il ira en Urss et ce sera le premier photographe admis à s’y rendre. Assisté d’un interprète, il a pu photographier les gens de la rue en train de vivre…
De 1958 à 1965, il retourne en Chine, au Mexique, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Pologne, en Grande-Bretagne, aux U.S.A et il va à Cuba, au Canada, au Japon où ses photographies sont publiées dans Life et Paris Match.
En 1966, il retourne en Inde et quittera l’agence Magnum qui conservera néanmoins ses archives.
En 1969-1970, il parcourt la France, il publie « Vive la France » et expose au Grand-Palais. Parallèllement, il réalise deux films documentaires pour CBS News.
En 1974, Henri Cartier-Bresson revient au dessin tout en continuant à photographier des portraits et des paysages.
En 1975, il expose ses dessins à New York.
En 1981, il reçoit le Grand prix national de la photographie au ministère de la culture à Paris.
En 1986, Il reçoit le prix Novecento à Palerme.
En 2000, avec sa seconde épouse Martine Franck et sa fille Mélanie il décide de créer la fondation Henri Cartier-Bresson qui sera reconnue d’utilité publique par l’état français en 2002 et qui ouvrira ses portes en 2003.
En 2004, il s’éteint dans sa maison de Céreste dans le Vaucluse et il sera enterré dans la plus stricte intimité. Il était âgé de quatre-vingt-quinze ans.
La photo en couleur : quelque chose d’indigeste
Pour HCB la couleur est une négation de toutes ses valeurs plastiques : esthétisante, une vision édulcorée de la réalité.
Il ne se souvient pas avoir jamais ressenti une émotion face à une photographie en couleur.
Il ne l’aime pas et ne l’a jamais aimée même s’il en fait parfois à titre expérimental ou par stricte nécessité car, à ses yeux, elle est le domaine exclusif de la peinture.
Face à la couleur Henri-cartier Bresson s’est toujours placé en position de peintre et non de photographe.
A ses yeux la puissance d’évocation du noir et blanc demeure inattaquable.
Henri Cartier-Bresson : ses citations
Le 14 avril 1998, à la lecture de l’hommage qui lui a été fait par Jean-Pierre Montier, il ajoute :
« Je tiens à repréciser que le processus de la photo ne m’intéresse pas .jamais, je n’y pense. Non, je n’ai pas l’obsession de la photo. Je suis obsédé par ce que je vois, par la vie, par la réalité. La photo, c’est pour moi la joie de regarder avec un outil qui enregistre immédiatement. Mais ce n’est qu’un outil ! Et la célébrité m’écrase. C’est une forme de pouvoir d’être connu et comme je suis foncièrement libertaire, je ne peux l’accepter ! Néanmoins d’une profonde reconnaissance et solidarité »
« Pour signifier le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on découpe dans le viseur »
« On doit toujours photographier dans le plus grand respect des autres et de soi-même »
« S’il n’y a pas l’émotion, s’il n’y a pas un choc, si on ne réagit pas à la sensibilité, on ne doit pas prendre de photo. C’est la photo qui vous prend ! »
« La plus petite chose peut être un grand sujet, le détail humain devenir un leitmotiv »
« Le compas du photographe ne peut être que dans son œil »
« La photographie est, pour moi, l’impulsion spontanée d’une attention visuelle perpétuelle, qui saisit l’instant et son éternité. Le dessin, lui, par sa graphologie élabore ce que notre conscience a saisi de cet instant. La photo est une action immédiate ; le dessin une méditation »
« La photo, c’est la vitesse, le clin d’œil ; le dessin, c’est prendre son temps, le seul luxe »
« Si, en faisant un portrait on espère saisir le silence intérieur d’une victime consentante, il est très difficile de lui introduire entre la chemise et la peau un appareil photographique. Quand au portrait au crayon, c’est au dessinateur d’avoir un silence intérieur »
« L’aventurier en moi se sentit obligé de témoigner, avec un instrument plus rapide que le pinceau des cicatrices de ce monde »
« Le leica peut être un gros baiser bien chaud, il peut être aussi un coup de révolver, ou encore le divan du psychanalyste »
« L’appareil photographique est pour moi un carnet de croquis, l’instrument de l’intuition et de la spontanéité, le maître de l’instant qui, en termes visuels, questionne et décide à la fois.
Pour signifier le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on découpe à travers le viseur. Cette attitude exige de la concentration, de la sensibilité, un sens de la géométrie. C’est par une économie de moyens et surtout un oubli de soi-même que l’on arrive à la simplicité d’expression. Photographier : c’est retenir son souffle quand toutes nos facultés convergent pour capter la réalité fuyante ; c’est alors que la saisie d’une image est une grande joie physique et intellectuelle. Photographier : c’est dans un même instant et en une fraction de seconde reconnaître un fait et l’organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait. C’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. C’est une façon de vivre. »
« La netteté est un concept bourgeois.»
« Vos 10 000 premières photographies seront les pires.»
« Le temps court et s’écoule et notre mort seule arrive à le rattraper. La photographie est un couperet qui dans l’éternité saisit l’instant qui l’a éblouie.»
« Lorsque nous travaillons, nous devons être conscients de ce que nous faisons.»
« Nous devons cesser de prendre des photos rapidement sans réfléchir qui nous surchargent d’images inutiles, qui encombrent notre mémoire et diminuent la clarté de l’ensemble.»
« La photographie est une réponse immédiate à une interrogation perpétuelle.»
« Photographier, c’est une attitude, une façon d’être, une manière de vivre.»
« Pendant que vous travaillez, vous devez être sûr que vous n’avez rien oublié, car après il sera trop tard.»
« La photographie n’a pas changé depuis ses origines, sauf dans ses aspects techniques, ce qui pour moi n’a aucune importance.»
« La composition doit être une de nos préoccupations constantes, mais au moment de photographier elle ne peut être qu’intuitive, car nous sommes aux prises avec des instants fugitifs où les rapports sont mouvants.»
Rédaction : M.C. Gautard
Sources
- L’imaginaire d’après nature. Henri Cartier Bresson. Editions Fata Morgana.1996
- Les grands photographes de Magnum photos, Henri Cartier Bresson, édition Hachette
- Magasine PHOTO, aout 2004, hommage à Henri Cartier Bresson
- L’œil du siècle de Pierre Assouline.
Vidéo en français :
Henri Cartier-Bresson inédit
Dix grandes citations de Henri-Cartier Bresson
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