Reste d’un art Photographique bien à lui
Depuis quelques années, la photographie numérique a su prouver ses qualités incontestables.
Par son prix et sa simplicité, elle a fait de l’ombre à la photographie argentique.
Que reste t-il de propre à cette pratique de la photographie argentique ?
Article rédigé par Nicolas Baudoux
Enquête sur cette photographie qui n’a pas encore mis le voile sur sa chambre noire
Un après-midi dans le passé.
C’est là où Katherine Longly, photographe et animatrice, souhaite faire plonger les visiteurs.
Une ambiance de chambre noire. La faible lumière rouge éveille une certaine nostalgie.
Dans ce laboratoire aménagé au sein du Museum du Botanique à Bruxelles, certains visiteurs de l’exposition de Ghisoland – grand portraitiste au début du XXème siècle – peuvent venir réaliser des portraits sur du papier photographique.
Exposer sa composition sur une surface photosensible et la plonger dans la magie du révélateur.
Enfin, la fixer à jamais.
Une manière de ne pas oublier le passé.
Mais si ce passé faisait toujours partie de l’histoire ?
Katherine Longly s’adresse aux enfants, « savez-vous ce qu’est une pellicule ? ».
La réponse est unanime : c’est un non sans hésitation.
D’autres visiteurs marchent de photographie en photographie à travers l’exposition, appareil numérique au cou, les yeux grands ouverts devant ces portraits géants.
Ces clichés argentiques sont aujourd’hui ancrés dans un monde où l’apparition de la photographie numérique a totalement modifié les pratiques culturelles et marchandes de la photographie en tant qu’art.
Avant l’apparition et, surtout, la démocratisation des appareils numériques, il existait principalement une photographie réfléchie, non ponctuelle et peut-être plus solitaire.
Les photographies, autrefois collées dans des albums ou mis en diapos, sont aujourd’hui presque automatiquement partagées sur la toile, sans réel contrôle.
La moitié des évènements figés par les Européens se retrouvent sur internet.
Il y a une nouvelle volonté de montrer à l’univers entier sa propre vision du monde en images, au dépend d’une singularité d’avantage recherchée auparavant.
La photo de la tour Eiffel sera mise en ligne, alors qu’une ou plusieurs photos similaires s’y trouve déjà.
Les photos de vacances permettent de partager une expérience, qui suscite de moins en moins de surprise face aux nombreuses images déjà vues précédemment sur Facebook, Flickr, Google Images, etc.
Une majorité des images aujourd’hui se rangent dans des normes qui en font des clichés stéréotypés et banals difficile à inscrire dans une histoire de la photo qui prône – ou prônait – l’originalité et l’individualité du cliché.
Révolution du plaisir
Entre la photographie argentique et la photographie numérique, a débarqué une évolution technique qui n’amène pas forcément à une évolution esthétique – en envisageant uniquement des photos brutes, sans considérer les effets visuels possibles avec le numérique, notamment le High Dynamic Range.
Et grâce à cette technique photographique rendue plus abordable, les amateurs ont pu s’approprier la photographie, bien d’avantage qu’avec l’argentique.
A partir de ce moment, certains peuvent se demander où est passé l’art derrière les photos irréfléchies prises lors des dernières vacances.
Le passage au numérique a transformé le plaisir de l’art photographique : du photographe chimique à la recherche d’un esthétisme, il y a aujourd’hui des amateurs qui mitraillent sans plaisir, pour le souvenir (voyage, famille, etc.).
Et le principe du non-art s’exporte jusqu’au professionnel, quand un photographe shoot à 7 images par secondes des performances sportives.
Le numérique a amené avec lui une banalisation du déclencheur.
Marie Ozanne, du collectif Caravane, ajoute :
« Avec le numérique, le photographe appuie beaucoup plus facilement sur le déclencheur, pour « voir ». Certes, on expérimente plus, mais on pense moins aussi…».
Mais le numérique a vu émerger aussi une nouvelle catégorie de personne, souvent héritière de la génération argentique : celle du photographe à la recherche de l’art sans donner priorité à la technique même du procédé.
Cet artiste peut se placer entre la famille et leur compact et le puriste pour qui l’image finale n’est acquise qu’après son passage dans la chambre noire.
Photographier avec sincérité, en numérique ou en argentique
La photographie chimique suscite déjà une certaine nostalgie, alors qu’elle ne fut dépassée il n’y a que quelques années.
Même si certains photographes adoptent plutôt aujourd’hui une position mixte argentique / numérique, d’autres ne pratiquent toujours que la photo à pellicule.
Généralement pour afficher leur opposition à l’homogénéisation des clichés et à l’industrialisation de l’art.
Il n’est plus question à l’heure actuelle de se lancer dans un long débat pour savoir quelle pratique est meilleure que l’autre, puisque les capteurs numériques ont presque atteint les qualités permises des appareils mécaniques.
Même si certains puristes, comme Michel Campion, du magasin d’occasions Campion à Bruxelles, considère que « le noir et blanc argentique a une autre âme ».
A chacun de trouver l’appareil qu’il lui convient et, comme le souligne le photographe Sébastien Van Malleghem, « avec lequel il se sent en phase.
Il n’y a pas de routes préétablies pour « faire de l »art » : il faut photographier avec sincérité, en numérique ou en argentique. ».
L’argentique est encore loin de disparaître
Nombres de photographes tournent déjà le dos au numérique.
Le marché de niche de l’argentique restera utilisé par une minorité de passionné.
Et ce marché dépend pour le moment des actionnaires et des industries de la photographie.
Sans eux et leur volonté de continuer à fabriquer le matériel nécessaire, l’argentique n’a plus beaucoup de temps devant lui.
Il semble que les deux pratiques savent coexister, l’une et l’autre remplissant chacun un rôle bien précis.
Le débat continue quant à lui sur l’intégrité de l’art photographique suite aux possibles excès du numérique, et non plus à propos de la qualité offerte par les deux usages.
Agences photographiques : vers une crédibilité assurée de la photographie
Le marché de la photographie est aujourd’hui encore bouleversé par l’apparition du numérique. Des questions se posent sur le rôle que doivent jouer les agences dans ce nouveau contexte.
Le numérique : opportunité fantastique ou menace effroyable ?
Ce n’est pas une révolution mais un raz-de-marée qui est venu submerger les agences photographiques.
D’abord obligée d’entretenir les deux parcs (argentique et numérique), elles ont du à partir du début des années 2000, s’adapter aux exigences toujours plus fortes des clients.
Ce n’est pas qu’une technique qui a changé mais le temps de réalisation, la transmission des images, des méthodes de ventes différentes, etc.
Un photographe professionnel muni de son appareil numérique et d’un laptop est aujourd’hui dix fois plus puissant qu’une agence comme Sygma dans les années 90.
Les clients sont conscients de cette évolution et la pression se veut de plus en plus croissante pour obtenir des images le plus rapidement possible.
Quitte à choisir des clichés amateurs disponibles sur internet quelques minutes seulement après les faits ou alors que ceux-ci se déroulent encore…
Un sensationnalisme contradictoire
« Les photos d’évènements n’ont plus la même force aujourd’hui », note Eric Herchaft de l’agence Reporters.
La démocratisation des appareils a permis aux amateurs de saisir l’émotion au moment même d’une catastrophe » comme pour le tsunami de 2004 ou la catastrophe au Japon.
Il y a moins d’une dizaine d’année encore, les photographes d’agences étaient dépêchés sur place après l’évènement. Impossible alors de faire vivre l’actualité comme la presse peut le faire aujourd’hui, en temps réel.
Les photographies amateurs « ne représentent pas une concurrence telle quelle car ce sont des images que les agences ne pourraient pas saisir. Ce sont des images qui leur auraient de toute façon échappé car les agences n’étaient pas sur place », continue Eric Herchaft.
Émergent donc aujourd’hui des photos de moins bonnes qualités certes, mais qui restent un support d’information important.
La plupart des sujets d’actualité, en particulier les faits divers, peuvent aujourd’hui être illustrés et à moindre coût.
L’accent émotionnel est aujourd’hui sous tension : il n’y a jamais eu autant d’images si fortes et empreintes d’agitation pour exprimer un événement. Mais dans un même temps, le public assiste à une banalisation du sensationnel, qui était plus difficile à diffuser dans les médias à l’époque.
Agences photographiques : un nouveau rôle
Avant les années 2000, le photographe professionnel se devait de travailler pour une agence afin qu’elle puisse traiter en aval ses productions (stockage des archives physiques, développement, livraison).
L’amateur était écarté de cette profession du au coût et au matériel indispensable à une transmission des clichés à travers le monde.
Aujourd’hui, le rôle des agences évolue.
Elles permettent notamment au photographe de ne pas être un de plus sur la toile, inondée par l’offre d’images, grâce à la notoriété et à la publicité qu’elle lui apporte.
A l’heure où les amateurs peuvent gérer – et diffuser – leurs photographies eux-mêmes.
Les agences photographiques doivent redéfinir leur responsabilité afin de pouvoir survivre face à ces banques d’images low-cost qui grandissent de jour en jour.
Elles constituent une menace directe pour les photographes professionnels : une standardisation des images, un appauvrissement réel des contenus et une concurrence à un prix imbattable.
Rémy Gautard, de l’association photographique Studio+, critique
« l’usage intensif et irréfléchi de l’ordinateur. Il permet sans doute de peaufiner le résultat final mais il introduit désormais de sérieux doutes sur l’authenticité de certaines photographies publiées ».
Il reste à l’heure actuelle aux agences à jouer un rôle de traçabilité et de véracité dans les photos qu’elles proposent.
Elles ne peuvent plus se permettre de commettre des erreurs – comme par exemple les photos truquées du conflit israelo-libanais en 2006 reprisent par l’agence Reuters – pour devenir et surtout rester crédible aux yeux du public.
Le professsionnel se distinguera du meilleur amateur en proposant des clichés d’une réalité connue par ceux qui la vivent, car l’agence sera la garante de la vérité photographique dans le monde amateur de la retouche numérique.
Avec l’argentique, je me bats avec le temps
Daniel Michiels est un photographe exclusivement argentique.
Il est parti s’installer à la fin des années 70 sur les hauteurs de La-Roche-en-Ardenne, territoire devenu le sujet principal de sa dégaine photographique.
Entretien avec un homme qui se veut loin du système photographique d’aujourd’hui.
Qu’est ce qui vous attire dans la photo argentique ?
J’aime encore bien avoir mon négatif, avoir mon agrandisseur.
J’aime bien passer par tous les stades jusqu’au développement.
Et à la fin, quand je tire, je me dis « merde ce n’est pas ça que j’attendais ».
Et c’est cela qui apporte quelque chose : la prochaine fois, je ferai plus attention.
Lors du développement, il y a l’image qui est là et il y a une espèce d’excitation.
Donc si je ne fais pas attention, que je suis trop excité et que je me trompe dans un procédé, ma photo peut être foutue.
Cette discipline dans les choses est très importante.
C’est ça qui est fabuleux.
Une discipline qui est primordiale dans la photo argentique…
Oui, ce n’est pas la vitesse qui compte mais c’est la ponctualité de la chose, qu’on sache prendre le temps.
En allant vite, il n’y a aucun résultat, c’est toujours approximatif.
On essaye un peu ça, un
peu ça, …
Il faut s’investir à fond dans sa discipline, sinon on ne sera jamais jusqu’où nous pourrons aller.
La non-obsession des choses ne mènent à rien, il faut que cela soit obsessionnel, que cela nous tracasse, nous rende fou pour pouvoir arriver à quelque chose qui n’est pas éphémère.
Si tu n’as pas d’obsession, il faut arrêter.
Vous regrettez l’apparition du numérique ?
Tant qu’on me laisse tranquille et que je peux toujours aller acheter mes produits et mon papier, cela ne me dérange pas.
Ce qui m’énerve, c’est cette industrialisation de l’art.
On fait croire aux gens qu’ils sont démodés et qu’ils doivent changer d’appareil.
On créé un nouveau besoin qui n’existe pas alors que leur appareil marche encore très bien.
Mon Leica a 70 ans et il marche encore.
Pourquoi un nouvel appareil numérique ne marche-t-il que quelques années ?
Les gens sont embarqués vers cette recherche de la nouveauté.
L’industrie de la photo fonctionne sur le court terme et fait comme si le passé n’avait pas existé.
Y a-t-il quelque chose qui reste à l’argentique ?
Le plaisir dans l’argentique c’est que lors de la prise vue, on suppose que la photo est bonne.
Et ce n’est qu’au développement qu’on voit ce que cela donne. Il y a une espèce de jouissance dans l’attente.
On attend de voir si c’est juste. Alors qu’avec le numérique, le photographe peut voir directement si sa photo est bonne ou pas, il n’y a aucun plaisir.
Avec l’argentique, on se bat avec le temps.
Et il faut faire des choses intemporelles.
Ne pas dater, ne pas signer, ne pas avoir de légende en-dessous des images.
Et quand on arrive à se battre avec le temps, dans la vie aussi, là c’est beau.
Paradoxe flagrant, mais avez-vous déjà pensé à numériser vos photos ?
Non, et en tant que photographe je ne veux pas avoir de site. Si des photos à moi se trouvent sur internet, c’est que ce sont des amis à moi qui les ont mises.
Avoir un site web, c’est aller ajouter un mec dans la série.
On ne verra pas la différence.
La différence c’est justement être en dehors de tout ça.
C’est faire de l’art, mais à côté de ce que tout le monde fait.
Je préfère que les gens viennent à ma maison regarder mes photos.
Quand je regarde des images sur internet, c’est impersonnel.
Il n’y a pas ce contact physique.
Vous ne pensez-pas passer au numérique ?
Non, je ne me sens pas bien avec, j’ai pourtant essayé plusieurs fois de faire des photos sur l’escalier, un endroit où je photographie souvent.
Ce n’est jamais le cadrage que je voulais.
Ça a l’air d’être le cadrage, et quand je prend la photo ce n’est pas celui que j’avais vu.
Et je me dis : « c’est moi qui deviens fou ou quoi ? ».
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